Art premier, vrai ou faux ?
On ne peut que souligner l’importance de la dimension créatrice des arts africains, malgré les qualifications dépréciatives d’« arts primitifs » ou « d’arts premiers », pour autant qu’il y ait des « arts seconds ». L’héritage est considérable puisque la découverte de ces formes d’art à la fin du XIXe siècle, a modifié la création occidentale du XXe siècle (Picasso, Arp, Brancusi, Matta, Matisse, Braque...). Aujourd’hui les oeuvres d’art africaines sont définitivement reconnues comme appartenant à l’histoire de la création humaine à l’égal des arts occidentaux. La création d’espaces patrimoniaux dédiés en atteste (Musée Dapper, Musée africain-américain de Californie, Fondation Beyeler, Musées de la civilisation au Canada, Musée du quai Branly...).
Toute la problématique de ce patrimoine dans un monde régi non par l’écrit, mais par l’oralité, est l’absence de hiérarchie entre les créateurs, afin de parvenir à distinguer un objet de valeur d’une pièce sans intérêt, alors même qu’il s’agit d’un art traditionnel. Il a donc été admis que sa valuer culturelle était relative à la beauté de la pièce et son ancienneté , (plus elle est séculaire moins elle a de chance d’être le produit d’une acculturation, même si les objets les plus valorisés sont ceux souvent qui résultent de la rencontre entre l’Occident et l’Afrique : le reliquaire kota est recouvert de laiton, la statue Songyé du Congo fait l’objet de l’adjonction de clous de tapissiers...) Ajoutons que ce sont les fonctions culturelles, rituelles et spirituelles qui déterminent l’évaluation d’une œuvre d’art africaine (le reliquaire kota du Gabon était relié à l’ossuaire du disparu, l’échelle dogon doit avoir été utilisée, le masque bambara doit avoir servi pour une danse rituelle...).
Cependant ce jugement de valeur qui consiste à distinguer le vrai du faux porte en lui des éléments immoraux hérités de la colonisation. Si au début du XXIe siècle, nous avons reconnu la diversité des cultures et la nécessité de conserver le patrimoine immatériel, le fait de promouvoir l’idée, auprès des collectionneurs, que seul l’objet qui a été détourné de sa fonction rituelle a de la valeur, revient à défendre un système marchand qui, dans la relation Nord/Sud, crée une raréfaction des objets anciens en Afrique.
Dans le même temps, les occidentaux estiment normal de restaurer leurs châteaux et leurs sites historiques alors que le régime monarchique n’existe plus, de sauver des cathédrales alors que la collectivité s’intéresse plus à l’architecture du bâtiment qu’à sa fonction symbolique, et de mettre en scène le passé à la fois comme facteur d’identité et comme élément d’attractivité commerciale d’un territoire.
Mais ce raisonnement ne semble généralement plus tenir pour les pays en voie de développement, car lorsqu’une tribu se vêt du costume traditionnel à l’arrivée d’un bus de touristes, celle-ci est taxée de simonie ou d’opportunisme commercial. La souveraineté de l’héritage et sa diffusion est moins reconnue à un peuple rural dans un pays d’Afrique que la valorisation d’une animation historique dans un pays occidental. Il en est de même pour l’objet d’art africain lorsque l’occidental estime qu’un masque qui a été fait par un artiste et qui n’a pas servi selon les rites ancestraux aurait moins de vertus esthétiques.
La galerie Frémeaux classifie les objets en quatre catégories :
1) Objet d’art africain « pour touriste » (« art d’aéroport »). Il consiste en des reproductions d’objets plus ou moins bien faites qui sont souvent réalisées en série dans des tailles, des formes et des bois non conformes aux vrais objets et rarement produits in situ. Ce type d’objet très bon marché n’est pas proposé par la Galerie Frémeaux & Associés.
2) Objet d’art africain conforme à l’esthétique tribale. Il s’agit d’un objet d’art dont nous n’avons pas la preuve qu’il a été utilisé de manière rituelle, mais dont le travail, la qualité du bois, la créativité, la facture est conforme à l’héritage esthétique de la tribu à laquelle il se rapporte.
3) Objet d’art africain coutumier. Il s’agit d’un objet dont l’origine est connue, qui porte les traces d’une utilisation répétée, dont la facture et la pigmentation sont conformes aux pratiques traditionnelles et à l’art coutumier.
4) Objet d’art africain ancien de qualité ethnographique. Il s’agit d’un objet d’art coutumier dont l’ancienneté - plus de trente ans - lui confère une valeur supplémentaire, car il a fait l’objet d’un usage répété sur plusieurs générations et parce que sa création remonte à une époque où l’incitation marchande était plus faible qu’aujourd’hui.
L’héritage artistique de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique noire est en fait relativement récent et a été valorisé par le concept de Négritude élaboré par Césaire et Senghor (Voir le coffret Frémeaux & Associés coédité avec RFI,Aimé Césaire, Insularité et poésie, Les Grandes voix du sud, vol 2, [FA 5188] et Les Enregistrements historiques de Senghor, avec l’INA [FA5136]) et par la reconnaissance occidentale de l’intemporalité de cet art dans le discours de Dakar d’André Malraux, en 1966, mis à la disposition du public par Frémeaux et Associés (André Malraux, Grands discours 1946-1973 [FA5115]).
Par ailleurs, la reconnaissance des arts premiers comme patrimoine de l’humanité fait l’objet d’une collection ethnomusicologique chez Frémeaux et Associés où l’on retrouve les musiques spontanées des Pygmées, les chants des Papous ou des ethnies Antandroy de Madagascar... Cette démarche éditoriale et le choix d’objets présentés par la Galerie Frémeaux et Associés, est un véritable appel au partage, à la créativité et à la reconnaissance de la puissance d’un art qui est à l’origine du jazz aux Etats-Unis et un contributeur déterminant des arts figuratifs et abstraits occidentaux au XXe siècle. Ne dit-on pas en inversant l’ordre des influences, d’une sculpture africaine qu’elle est cubiste ?
La galerie Frémeaux & Associés se veut avant tout un lieu d’émotion, un lieu où le simple promeneur peut se révéler un collectionneur fasciné par la magie de l’Afrique.
Patrick Frémeaux & Christophe Lointier
La Galerie Frémeaus & Associés présente majoritairement des statues et des masques des tribus suivantes : Dogon (Mali), Bambara (Mali), Kota (Gabon), Bozo (Niger), Bobo (Burkina Faso), Fang (Gabon), Songyé (Congo), Bwa (Burkina Faso), Ibo ou Igbo (Nigéria), Mumuyé (Nigéria), Agni (Côte d’Ivoire), Lobi (Burkina Faso), Gouro (Côte d’Ivoire), Bedu (Côte d’Ivoire)...
Œuvres disponibles à la galerie Frémeaux & Associés SAS - 20, rue Robert Giraudineau 94300 Vincennes - Tél. 01 43 74 90 24 Métro : (100 m) Château de Vincennes - RER (100 m) Vincennes - Ouverture du mardi au samedi de 10h30 à 13h00 / 14h30 à 19h00